Débat (en entier)
https://www.youtube.com/watch?v=kDDbMcXkClM
Extraits du débat
https://www.youtube.com/watch?v=30CM77RXS_8
Le jeudi 8 janvier s’est tenu, à l’initiative de l’USTM 38, le débat intitulé « la croissance est-elle la solution ? » à la bourse du travail de Grenoble [1]. Cet évènement a rassemblé près de 140 personnes autour des intervenants suivants :
- François Ruffin : journaliste (Fakir, le Monde diplomatique, Là-bas si j’y suis)
- Eric Piolle : maire de Grenoble
- Philippe Martinez : secrétaire général de la CGT
Les membres du bureau de l’USTM ont introduit ce sujet en insistant sur les nombreux enjeux soulevés par une telle question : la réponse aux besoins, la répartition des richesses, la crise environnementale… Alors que nos politiques et nos grands médias en appellent systématiquement et depuis des décennies à la croissance pour répondre à tous nos problèmes socioéconomiques avec le succès que l’on connait, le seul suivi du Produit Intérieur Brut (PIB) avec toutes ses limitations et ses défauts doit aujourd’hui être remis en cause. En effet cet indicateur n’intègre ni le travail domestique (1,5 fois le volume horaire du travail rémunéré en France), ni le bénévolat, et son augmentation (= la croissance) peut aller totalement à l’encontre du bien-être humain et de la préservation de l’environnement (cancers, accidents, marées noires…).
Ensuite il faut noter que la croissance passée a reposé à 80 % sur les gains de productivité. Or ces gains s’accompagnent de pertes, et ces dernières deviennent massives. Pour produire plus de quantités avec autant de travail (ce qui est la définition des gains de productivité), il faut plus de matériaux, d’eau, d’énergie engendrant ainsi plus de pollutions et d’émissions. On prélève donc de plus en plus dans des biens communs disponibles en quantité limitée : minerais rares, forêts primaires, nappes phréatiques profondes et énergies fossiles. Ce sont ces énergies qui ont propulsé vers le haut les gains de productivité (industriels et agricoles) entraînant ainsi une explosion des pollutions et une dégradation significative des sols à cause de l’agriculture intensive.
Le lien entre la croissance et l’amélioration des conditions de vie ne peut être nié dans les pays pauvres ou en voie de développement, par contre au-delà d’un certain seuil de richesse (estimé à environ 20 000$/an/habitant [2]), des économistes montrent chiffres à l’appui qu’il n’y a plus de lien significatif entre l’augmentation de cette richesse et la réponse aux besoins (santé, bien-être, éducation…). Dans les pays occidentaux, le plus n’est donc pas forcément synonyme du mieux (chute de l’espérance de vie en bonne santé et consommation massive de psychotropes en France…). Bien entendu ce constat global masque des inégalités énormes entre les habitants d’un même pays. C’est pourquoi la lutte pour une meilleure répartition des richesses avec un alignement des normes sociales par le haut doit être menée conjointement avec celle pour la protection de l’environnement. Le capitalisme, basé sur une expansion sans limite dans un monde fini (la Terre), doit ainsi être remplacé par un modèle soutenable grâce à une transition sociale et écologique dans l’intérêt de nos enfants et des générations futures.
Le nouveau statut du travailleur salarié proposé par la CGT qui lie le salaire à la qualification et non au poste de travail, en garantissant le maintien du salaire lors d’une reconversion, permettrait de sécuriser les parcours et d’envisager une mutation profonde de notre système de production. Basée sur une relocalisation des activités, sur une meilleure qualité des produits et plus globalement sur une économie de la durabilité (dite circulaire), une telle transition pourrait créer plus d’emplois qu’elle n’en détruirait, quelques exemples :
- Concernant les transports : si on sortait de la logique consumériste de la généralisation de l’ « automobile individuelle », tout en conservant une mobilité équivalente à celle d’aujourd’hui, la Confédération Européenne des Syndicats estime que les 4,5 millions d’emplois en moins dans la construction automobile européenne induiraient 8 millions d’emplois en plus dans le secteur des transports en commun.
- Les énergies renouvelables, l’isolation thermique, les économies d’énergie, le recyclage et la relocalisation créeraient de 600 000 à 800 000 emplois à horizon 2030 en France d’après le scénario de l’association Négawatts (professionnels du secteur) [3].
- Une agriculture de qualité donc moins intensive permettrait de créer environ 30% d’emplois supplémentaires dans le secteur au niveau national.
Enfin lors de ce débat, on a pu observer un consensus fort entre les intervenants sur la nécessité d’une réduction du temps de travail. Celle-ci permettrait de partager le travail entre les salariés et les privés d’emplois, ainsi un passage à 32h sur 4 jours pourrait créer jusqu’à 1 million d’emplois.
Pour conclure, la CGT a le devoir de s’ouvrir sur de tels sujets pour évoluer, ne pas rester en marge concernant des enjeux clés et rassembler largement. La dernière assemblée générale organisée par l’USTM 38 en novembre dernier avait déjà permis de souligner la nécessité de rencontrer les différents acteurs de la société civile (syndicats, partis politiques, associations, collectifs…) pour créer une dynamique et faire converger les luttes. Un tel évènement rassemblant des syndiqués mais également des citoyens non syndiqués a permis de confronter nos idées avec un seul but : remettre l’économie au service de l’Homme et non l’inverse. Multiplions de telles initiatives pour avancer et créer des conditions favorables à une sortie du capitalisme. Le peuple grec avec Syriza vient d’ouvrir une voie…
Fabrice LALLEMENT, CGT métallurgie (USTM 38)
[1] cf. article dossier « Rouge et vert Le mariage ou la mort » du journal Fakir (mars 2015)
[2] Jean Gadrey, Adieu à la croissance. Bien vivre dans un monde solidaire, Paris, Les petits matins / Alternatives économiques, 2010
[3] Philippe Quirion. L’effet net sur l’emploi de la transition énergétique en France : Une analyse input-output du scénario NégaWatt, CIRED/CNRS, 2013