Pour éviter tout « malentendu », les « on dit … » et être constructifs
Une mise au point préliminaire concernant notre vision du management actuel s’impose !
Pour faire suite à notre avant-dernier tract concernant le licenciement de Salim et dans lequel notre syndicat critiquait ouvertement la politique RH à Soitec et ses conséquences, nous souhaitons préciser notre positionnement. Tout d’abord, nous insistons sur le fait que le ton employé dans ce tract n’était pas à la hauteur de la brutalité du licenciement de notre collègue (pas d’échelonnement des sanctions, entretien disciplinaire à charge, dimension humaine jamais prise en compte…).
Nous y dénoncions également le « deux poids, deux mesures » entre le sort réservé au management et au reste de la population en cas de faute. En effet sur des cas graves et avérés de salariés en mal-être suite à des pressions, nous avons bataillé pendant des mois (parfois appuyé par l’inspection du travail) pour obtenir au mieux le déplacement du supérieur hiérarchique. A côté de ça, le salarié lambda a pu être licencié sans sanction préalable car sa situation professionnelle (et parfois également personnelle) devenue(s) intenable(s) a (ont) pu le pousser à devenir moins performant voire à craquer. D’un côté la direction trouve toutes les excuses pour protéger jusqu’au bout certains managers et de l’autre, elle se contente d’un entretien bâclé pour exercer la sanction ultime. C’est cette injustice et ce manque d’équité que nous dénonçons depuis de nombreux mois.
Ensuite accuser notre syndicat, actuellement mobilisé sur tous les fronts pour la préservation des emplois dans l’entreprise, de vouloir faire licencier les managers est un faux procès. A Soitec, la CGT est d’ailleurs le seul syndicat dont les syndiqués et les élus sont des opérateurs, des techniciens et des ingénieurs qui confrontent quotidiennement leurs points de vue pour essayer de défendre l’intérêt général. Pour nous le syndicalisme catégoriel n’a aucun sens, à part opposer les salariés. Nous encourageons donc les ingénieurs / cadres et les managers, actuellement trop souvent en marge du dialogue social dans l’entreprise, à se faire entendre en nous rejoignant.
Nous dénonçons l’organisation en place, pas les exécutants qui sont trop souvent considérés comme des PIONS par le top management. Et ceci au même titre que l’ensemble des salariés. Celui qui en douterait pourrait vite tomber de haut… C’est pourquoi, mettre sur le dos de la CGT, les clivages accrus existant au sein de la société (entre CSP, salle blanche vs bureaux…) et les tensions entre les salariés (entre ou au sein des équipes et des services, managers vs subordonnés…) est une solution de facilité, s’interroger sur les causes profondes de ce mal pour les corriger, à savoir la gouvernance et la politique managériale, en est une autre…
Pour finir, qui peut nier que les managers de proximité ont un travail ingrat ? Entre le marteau, la pression omniprésente de leur propre management qui leur donne trop peu de latitude, et l’enclume, des salariés de plus en plus remontés et/ou démotivés par le manque de reconnaissance qu’ils doivent encadrer ou plutôt contrôler… Dans certains services, les managers sont tellement sollicités techniquement et mis en avant qu’ils sont contraints de reléguer la gestion de l’humain, pourtant LE cœur de leur métier, au second plan. Dans d’autres, ils passent leur temps à jouer les pompiers de service en milieu parfois hostile… Leur fonction de représentant et de relais de la direction (from top to bottom) les empêche souvent de laisser transparaître leurs difficultés, pourtant, par leur position, ils sont les premiers à souffrir du climat délétère actuel régnant à Soitec.
Après la dure réalité, les SOLUTIONS !!!
Dans ce fameux tract, nous vous invitions à visionner le documentaire récent d’Arte « le bonheur au travail ». Nous avons ainsi été interpelés quotidiennement par de nombreux salariés dont des managers convaincus de l’intérêt des modèles alternatifs présentés et de la nécessité de construire autre chose à Soitec. En effet, le constat dressé par les experts du monde du travail fait totalement échos à ce que nous vivons depuis des années au sein de l’entreprise (passage de la start-up innovante & dynamique à la grosse PME imitant les multinationales) :
- Selon de récentes études, 11% de salariés sont engagés dans leur travail (heureux de partir travailler le matin), 61% sont désengagés (objectif : recevoir un salaire à la fin du mois) et 31% sont « activement désengagés » avec tout ce que cela peut engendrer (mal-être, stress, RPS…)
- Les salariés sont pour beaucoup étouffés par une pyramide hiérarchique obsolète, coincés dans des structures basées sur un modèle quasi militaire (surveillance, contrôle).
- La confiance rapporte plus que le contrôle: l’entreprise consacre des efforts et des moyens financiers énormes pour « fliquer » les quelques salariés qui sont en rupture (passagère ou définitive) et pour lesquels des solutions spécifiques existent (formation, changement de poste, reconversion…), sans tenir compte des répercussions négatives sur tout le reste des salariés : démotivation, pessimisme, défiance…
A contre-courant de valeurs d’entreprise « hors-sol », certains dirigeants ont décidé d’innover concrètement pour le bien-être de leurs salariés et par ricochet pour les résultats des entreprises concernées (Favi*, Poult**, Gore***…) :
- Dans ces entreprises dites libérées, les salariés ne sont plus des exécutants, ils ont la liberté et sont même encouragés à entreprendre des actions qu’ils considèrent comme bénéfiques pour leur entreprise, sans que ces initiatives soient nécessairement imposées par des décideurs ou une procédure.
- Un manager au service de son équipe… et non l’inverse: son rôle, central, est de créer les conditions favorables à l’implication des salariés et de les accompagner dans leurs initiatives. Ces responsables hiérarchiques ou plutôt ces référents sont évalués annuellement et désignés par les employés qu’ils encadrent. Leur exemplarité ainsi que celle des dirigeants et des responsables est bien entendu de mise. Les signes extérieurs de pouvoir sont supprimés pour faciliter l’accessibilité de chacun et créer un climat de respect et de confiance pour l’ensemble des salariés sans distinction.
- Les niveaux hiérarchiques intermédiaires devenus superflus sont supprimés pour aplatir la structure hiérarchique et gagner en efficacité. Les filières expertises et de gestion de projets sont mieux valorisées afin de donner à chacun des perspectives d’évolution et d’épanouissement sans forcément rechercher des responsabilités hiérarchiques.
- Responsabilité rime avec liberté: concrètement ces mesures conduisent à terme à supprimer les dispositifs de contrôle (badgeage des pauses, reporting inutile…) et à promouvoir le travail en groupe, le télétravail dès lors que les objectifs des personnes et des services sont discutés et définis clairement.
Pour conclure, le changement de gouvernance et les difficultés économiques que nous traversons constituent une réelle opportunité d’impulser un nouvel élan positif et donner un signal fort à l’ensemble des employés. Le travail entrepris par le CHSCT sur le chantier des RPS est une urgence (= curatif) mais il est primordial de s’attaquer en parallèle aux causes de cette situation en modifiant profondément la politique RH de Soitec (= préventif). Il ne faut bien entendu pas idéaliser béatement ces organisations alternatives qui doivent sans cesse être interrogées et évoluer pour que chacun y trouve sa place. Leur mise en place nécessite un travail préalable conséquent avec les salariés, leurs représentants et un basculement progressif vers la structure visée.
Dans les Sociétés Coopératives (SCOP) qui constituent le summum de l’entreprise libérée (un homme = une voix, PDG élu, décisions stratégiques dont répartition des profits soumises au vote…), les syndicats sont souvent omniprésents et totalement partie prenante. Dans l’une des plus connues d’entre elle, à savoir Chèque Déjeuner (2ème plus grande SCOP en France), le taux de syndicalisation atteint 90% ! Dans ces sociétés les sujets traités, la répartition des richesses et plus globalement le dialogue social sont tout autres que dans les entreprises dites « conventionnelles », pas besoin de vous faire un dessin…
Plus de démocratie sociale au sein de l’entreprise va dans l’intérêt de l’ensemble des salariés quel que soit leur poste.
Se réapproprier notre travail et arrêter de le subir en construisant autre chose, c’est s’ouvrir enfin des perspectives et par là même, se donner toutes les chances pour assurer la pérennité de l’entreprise et donc de nos emplois !
* entreprise française, leader mondial en fonderie d’alliages cuivreux (400 personnes)
** biscuiterie française, 5 usines (800 salariés)
*** groupe américain implanté dans le monde entier, inventeur du GoreTex® (10 000 personnes)