Alors que de Paris à Bruxelles, nos dirigeants et nos chefs d’entreprise ne jurent plus que par le Numérique, il devient nécessaire de s’interroger sur ce que recouvre concrètement ce terme. Pour la CGT cette filière s’étend de la maîtrise des composants (via la Recherche & Développement et la production en microélectronique/électronique) à l’applicatif (logiciels, systèmes d’exploitation, réseaux…). Ne considérer que la partie avale de cette filière revient à construire un château-fort sur du sable.
Mettre en avant le savoir-faire de nos start-up (la « French Tech » si chère à notre jeune Président) est justifié, mais parler des emplois industriels du numérique à tous les niveaux de qualification semble moins « vendeur » dans les hautes sphères et dans nos médias. Pourtant avec près de 10% de chômeurs dans l’Union Européenne et une désindustrialisation qui s’accélère (en France 500 000 emplois détruits ces dix dernières années uniquement dans l’industrie), ils semblent oublier l’essentiel… Nous rappelons qu’un emploi créé dans l’industrie du semi-conducteur ou de l’électronique induit près de quatre emplois indirects.
Ensuite sans construction d’une véritable filière européenne du numérique au sens générique du terme, nous n’aurons plus la taille critique pour exister sur un marché très concurrentiel malgré un savoir-faire technologique largement reconnu et financé depuis de nombreuses années par de l’argent public.
Maîtriser nos composants, un enjeu majeur : pourquoi ?
Pour la partie amont de la filière, les chiffres parlent d’eux-mêmes… Alors que 20% de la recherche mondiale sur les composants se fait en Europe, le poids de notre continent dans leur production au niveau mondial est inférieur à 5%. Sur un secteur avec une telle valeur ajoutée et dans lequel les gains se font beaucoup plus par économie d’échelle (taille des usines) que par le coût de la main-d’œuvre (nos salaires), il est nécessaire que l’UE lance un plan d’investissement massif largement supérieur à celui récemment annoncé : IPCEI (Important Project of Commun European Interest).
Vu que le coût des usines de semi-conducteurs atteint dorénavant plusieurs milliards d’euros [Mrd€] (dernière usine de TSMC à Taïwan ≈ 15 Mrd€), une réelle coopération entre les états européens n’est plus une option pour peser mais une nécessité comme à l’époque d’Airbus dans le secteur de l’aéronautique.
Dans une période de mutation technologique sociétale et de toute notre industrie, la maîtrise de nos composants devient primordiale que ce soit d’un point de vue économique alors que la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine bat son plein ou pour sécuriser nos données (défense, médical…).
A l’heure actuelle les microprocesseurs de dernière génération nécessaire sont élaborés aux Etats-Unis par Intel, Qualcomm, Nvidia. Ils ont été rejoints par les grands acteurs de l’Intelligence Artificielle [IA] à savoir les GAFA et leur énorme capacité d’investissement : Apple, Google, Amazon et bientôt Facebook les font fabriquer chez TSMC ou Samsung, les 2 leaders mondiaux de la fonderie de semi-conducteurs à Taïwan et en Corée.
La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine se joue largement autour de l’enjeu des composants électroniques. Donald Trump s’agace de l’ambition de la Chine d’assurer son autosuffisance en matière de nouvelles technologies à travers son plan « Made in China 2025 ». Ainsi la Chine prévoit d’investir dans les cinq ans qui viennent 100 milliards de dollars (!!!) pour de nouvelles usines de semi-conducteurs, en commençant par les mémoires avant d’attaquer la production des processeurs. Dans cette guerre économique, les Etats-Unis ont aujourd’hui encore la main sur les composants, ils n’hésitent pas à bloquer les tentatives de rachats chinois (Lattice, Qualcomm…) et menacent même de couper le robinet, pour mettre des concurrents en faillite.
L’Europe toujours à la traîne malgré des effets d’annonces successifs : IPCEI, Nano 2012/17/22…
Malgré cette situation plus que tendue, ni la France, ni l’Europe n’ont aujourd’hui de plan industriel majeur malgré notre R&D de pointe et le fait que de nombreux équipements critiques sont fabriqués sur notre continent en plus des Etats-Unis et du Japon. Ce sous-investissement au vu des enjeux décrits est incompréhensible sachant que des entreprises comme ST Micro (reconnue pour ses versements élevés de dividendes aux actionnaires) se contentent actuellement de procédés de fabrication qui seront rapidement dépassés et loin d’être au niveau de la concurrence mondiale. Revenir dans la bataille des puces électroniques supposerait des investissements à hauteur de 15 à 20 Mrd€ dans les cinq ans dans les capacités industrielles et les moyens de la recherche des nouveaux procédés de fabrication rien qu’au niveau national. Soit entre trois et quatre fois plus que la dernière monture du plan Nano [2022] (déclinaison française de l’IPCEI) annoncée en grande pompe ce 15 mars à ST Crolles par Bruno Lemaire : 5 Mrd€ d’investissement sur 5 ans (incluant 1 Mrd€ d’argent public dont 50 millions d’euros pour Soitec).
Le point positif c’est que pour la première fois, ce plan quinquennal validé par l’UE permet d’investir sur de la pré-industrialisation et non uniquement sur de la R&D. Enfin ! Sachant que nos concurrents asiatiques et américains ont toujours été massivement soutenus par leurs états respectifs.
Le point négatif c’est que malgré l’augmentation significative de ce périmètre « autorisé » et de nos énormes besoins d’investissement, le montant associé est du même ordre de grandeur que le précédent plan Nano 2017 (3,5 Mrd€ dont 0,6 Mrd€ d’argent public) qui avait tout juste permis de maintenir les acteurs du secteur à flot.
Nos propositions d’investissement pour une filière créatrice d’emplois, utile et responsable
La CGT siégera au Comité Stratégique de Filière (CSF) « industrie électronique » avec les autres syndicats et dirigeants du secteur et portera ce message. De plus, nous ferons des propositions concrètes de projets pour notre industrie qui pourraient être… (en cours d’élaboration) :
– AMONT : la fabrication de puces FDSOI 10nm avec le Leti, Soitec, ST (Italie / France), GlobalFoundry [GF] (Allemagne), IMEC (Belgique) : projet majeur européen d’une fab avec un investissement de 10 Mrd€ en cofinancement. Et si les rumeurs persistantes de revente des sites de production de GF pouvaient constituer un effet d’aubaine ?…
– AVAL : le développement d’un écosystème IA européen
- des processeurs neuronaux avec ST, Kalray (start-up française) et des partenaires européens dont Infineon (Allemagne)
- des logiciels pour l’IA avec INRIA, Thales, Dassault Systèmes… (partenaires européens à définir)
- des projets applicatifs utilisant les processeurs IA (partenaires européens à définir)
- Renault, Peugeot, Valeo… pour la voiture autonome
- Legrand, Schneider, Hager… dans la domotique
- Thales, Sanofi… dans le médical
La CGT travaillera également avec ses homologues des syndicats français et européens (IG Metall en Allemagne, CGIL en Italie…) pour élaborer des projets et stratégies communes pour mieux peser dans ces échanges.
Salariés mais Citoyens avant tout !!!
Enfin, au-delà des enjeux socioéconomiques majeurs de notre filière transverse à une multitude de secteurs, il semble primordial qu’en tant que salarié, mais également en tant que citoyen, nous ne soyons pas des spectateurs passifs concernant les finalités et les conséquences des technologies que nous développons. Conservons toujours un œil critique sur le sens de notre travail et son impact sur notre écosystème ou la société. L’empreinte écologique de notre industrie et de ses produits associés (énergie, métaux rares, pollutions…) est énorme et la question de sa croissance exponentielle pose, à juste titre, question. A la soif insatiable des profits des mastodontes du secteur, à l’obsolescence (programmée ou non) des produits, aux potentiels dérives de la finalité des technologies (surveillance/contrôle des citoyens, armement, transhumanisme/eugénisme…) ou à l’éventuelle futilité de ces dernières, travaillons à la mise en place d’une filière du Numérique plus responsable, répondant aux réels besoins des populations et sous le contrôle de ces dernières. Commençons par réorienter rapidement les aides publics car toute innovation n’est pas bonne à développer… N’en déplaise à notre Directeur Général, la brosse à dents connectée n’a aucun sens, au mieux elle est futile, au pire elle est intrusive 😉
Le Tract ICI