SOITEC : entre Hold-Up, Exil Fiscal et Scandale d’Etat

     Le 16 septembre, l’annonce tombe : les dirigeants de Soitec, une société cotée à près de trois milliards d’euros, cèdent à eux seuls 3,3% du capital de l’entreprise et perçoivent ainsi 98 millions d’euros (M€). La presse financière habituée à toutes les outrances ne bronche pas… Surtout que, « grands princes », ces dirigeants ont
« annoncé leur intention d’investir une partie de leur gains » dans la société (mail de Paul Boudre aux salariés du 17/9/2019).

Cette première cession représente 60% du gigantesque « plan d’actions de motivation » [MIP : Management Incentive Plan] mis en place pour 34 bénéficiaires il y a trois ans avec la complicité du Ministère de l’Economie alors dirigé par Emmanuel Macron. Au cours actuel de l’action, le montant associé à l’ensemble de ce
plan dépasse 160M€.

Cette somme donne le vertige pour une société d’à peine 1450 salariés qui a (seulement) généré sur les trois dernières années 333M€ de chiffre d’affaire moyen par an et 200M€ cumulés de résultat opérationnel sur la même période (période de référence du MIP). Sans parler des pertes colossales accumulées par la diversification ratée dans le solaire quelques années plus tôt (plus de 700M€).

Quelques jours avant cette annonce, les salariés avait appris le départ du responsable financier Rémi Pierre après seulement un peu plus de trois ans passés dans la société ce qui correspond exactement à la période de mise en place du MIP dont il est étonnamment le troisième bénéficiaire en montant. Au cours actuel de l’action, lorsque l’on ramène son pactole à son temps passé dans l’entreprise, on arrive à près de 11000€ par jour (!!!) vacances/WE/jours fériés inclus, hors salaire (plusieurs centaines de milliers d’euros par an) et hors avantages divers… Laurent MAUMET, responsable IT et qualité, également membre du COMEX, « prenait la roue » quelques
jours plus tard et annonçait également son départ après avoir perçu lui aussi le jackpot.

Le scénario prédit par la CGT Soitec dès début 2015, à savoir des départs successifs de dirigeants « surgavés » à peine les actions du MIP distribuées, se déroule exactement comme annoncé. Le MIP, en plus d’être totalement indécent, ne garantit en rien la stabilité et la pérennité de notre entreprise, bien au contraire, d’où la
faute du Ministère de l’Economie. De plus ce plan a généré une perte de confiance profonde envers les dirigeants de la part des salariés (en particulier ceux ayant de l’ancienneté), dégoûtés par ces pratiques, avec des conséquences psychosociales pour certains d’entre eux (démotivation, perte de sens, mal-être, arrêts maladie…).

Nous insistons sur le fait, que la principale hérésie du MIP réside dans le fait que, loin de l’image d’Épinal de la direction héroïque pour redresser une entreprise en grande difficulté, ce pactole sur-rémunère de manière honteuse des dirigeants et des managers qui n’ont fait que suivre un chemin déjà tracé avant la mise en place de
ce plan d’actions. En effet, les produits que nous vendons aujourd’hui massivement (RF-SOI, Power-SOI, FDSOI…) étaient en production ou dans un état très avancé de développement grâce au travail quotidien de TOUS les salariés et non au supposé « génie entrepreneurial » de quelques-uns. C’est pourquoi de très nombreux employés et
la CGT Soitec en tête considèrent que ce qui s’est passé à Soitec est un véritable hold-up. Ce n’est pas la mise en place à posteriori d’un plan d’actions pour ces mêmes salariés (PAT : Plan d’Actions pour Tous) en vue d’acheter la paix sociale qui remet en cause cet état de fait.

Essayons néanmoins de rester optimistes et positifs en toute situation (…), peut-être que ce scandale du MIP et ces premiers départs sont un mal pour un bien, si au final cela permet d’assainir la direction et certains postes clés de l’entreprise. Autant que les départs se poursuivent pour « séparer (au plus vite) le bon grain de l’ivraie » et
que ce soit bien uniquement la réussite du projet industriel & social ambitieux que représente Soitec qui soit la boussole de notre navire et non l’enrichissement personnel de quelques-uns.

En tant que salariés et en tant que citoyens, nous ne pouvons pas accepter une telle impunité et une telle immoralité au sein de NOTRE entreprise. C’est pourquoi la CGT Soitec fera tout ce qui est possible à son niveau pour que de tels faits avalisés par l’Etat ne puissent plus se reproduire dans et en dehors de notre société. A suivre…

« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches » (Victor Hugo)

         « SOITEC : entre Hold-Up, Exil Fiscal et Scandale d’Etat »
                        Résumé des épisodes précédents…

Les dirigeants d’une entreprise grenobloise de semi-conducteurs SOITEC et quelques personnes de leur entourage professionnel sont devenus multimillionnaires en à peine trois ans avec le soutien de l’Etat.

En 2009, SOITEC décide d’investir massivement dans la fabrication de systèmes de production électrique photovoltaïque en parallèle de son activité principale, la fabrication de plaques de silicium sur isolant (SOI).

Fin 2014, l’activité solaire de SOITEC avait englouti près de 700 millions d’euros en partie financés par les marchés financiers et l’État français actionnaire historique de l’entreprise via la Banque Publique d’Investissement (BPI).

Alors que l’activité microélectronique de SOITEC se portait plutôt bien en particulier grâce aux substrats RF-SOI (téléphonie), l’entreprise était au bord du dépôt de bilan.

Le numéro deux de SOITEC, Paul Boudre, s’est alors rapproché de certains actionnaires de référence dont ceux de la BPI afin d’en finir avec l’activité solaire. C’est ainsi que le PDG historique de Soitec est écarté pour ses erreurs stratégiques avérées et répétées, Paul Boudre prend sa place.

La nouvelle stratégie est de se recentrer sur les fondamentaux à savoir les plaques SOI pour la microélectronique dont les marchés associés offrent de très bonnes perspectives. Pour ce faire il négocie avec le Ministère de l’Économie un plan de
sauvetage de l’entreprise financé par l’État français via la BPI, le CEA et un nouvel actionnaire chinois (NSIG).

En parallèle et malgré la situation, Paul Boudre met une pression significative sur Bercy pour obtenir la mise en place d’un plan d’actions gigantesque pour les dirigeants de l’entreprise. Il arrive à ses fins… L’action était alors cotée à environ 0,30 € et pour cause, la boîte était au bord du dépôt de bilan.

La CGT SOITEC alors pleinement mobilisée pour garantir le sauvetage de l’entreprise, le maintien de l’ensemble des emplois et de toutes les activités (dont B3) a sollicité et obtenu un entretien auprès de Bercy en février 2015. Accompagné par l’expert économique du CE, notre syndicat est reçu par Julien Denormandie alors directeur adjoint du cabinet d’Emmanuel Macron et un certain nombre de responsables du Ministère de l’Économie et de l’Industrie.

Après avoir longuement échangé sur les enjeux sociaux et industriels que représente Soitec, nous avons alors alerté le Ministère qu’il était irresponsable d’octroyer un tel plan représentant une part significative du capital de l’entreprise à
quelques dirigeants. D’une part l’entreprise était en grande partie refinancée par des deniers publics et d’autre part, ce plan était une véritable bombe sociale à retardement car l’ENSEMBLE des salariés sortaient d’une période très compliquée (deux plans de licenciements successifs) et allaient, au même titre que les dirigeants, être fortement mis à contribution pour assurer son redressement.

Enfin, nous les avons aussi informés que sans l’activité solaire, l’entreprise redeviendrait profitable (c’était déjà le cas de l’activité microélectronique) et qu’ils seraient responsables de rendre nos dirigeants multimillionnaires, ceci en un laps de
temps très court (3 ans) et totalement injustifié au vu des nombreux enjeux moyens et longs termes pour Soitec.

Depuis la CGT SOITEC n’a cessé d’informer les salariés ainsi que les élus locaux et nationaux sur ce qu’il était en train de se passer dans une entreprise essaimée du CEA LETI et dont le Président du Conseil d’Administration appartenait à la BPI
jusque fin mars 2019.

Les délégués syndicaux CGT Soitec sont retournés à Bercy quelques mois plus tard, ils n’ont réussi qu’à obtenir qu’un léger « rabotage » du plan initial. De plus, en parallèle, le Conseil d’Administration a décidé d’étendre ce plan à 34 personnes dont les nominations parfois arbitraires ont généré encore plus de mécontentement dans l’entreprise (plus petit bénéficiaire du plan : 500k€ au cours actuel).

Aujourd’hui après notre retour attendu à la profitabilité et des perspectives positives pour Soitec, l’action est passée de 0,30 € à près de 90 € (après regroupement) et les inquiétudes légitimes du syndicat concernant le plan d’actions se sont concrétisées.

Les montants distribués n’ont rien à envier aux scandales relayés sur les entreprises du CAC 40 : pour le PDG environ 25 millions d’euros – pour les membres du Comex bénéficiaires entre 7 et 13 millions d’euros chacun. Ainsi ce plan d’actions se chiffre à plus de 160 millions d’euros au cours actuel de l’action…

Comment l’État français a-t-il pu couvrir un tel hold-up alors qu’il possède plus de 25% des actions de l’entreprise ? Cerise sur le gâteau, l’année dernière notre directeur général est parti s’installer à Singapour, paradis fiscal reconnu, suivi rapidement par d’autres dirigeants de l’entreprise bénéficiaires de ce plan d’actions, pour de soi-disant raisons stratégiques contestées par l’expert économique du CE (cf. dernier rapport
SECAFI).

Tout ceci alors que dans le même temps, le Ministre de l’Économie actuel répète, à qui veut bien le croire, qu’il faut que « dans toute entreprise où l’Etat a une participation, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire [c’est le cas à Soitec], le dirigeant de cette entreprise soit résident fiscal en France » (Bruno Le Maire le 16/1/2019).

Comment l’État, actionnaire principal de cette entreprise, a-t-il pu faire preuve de tant d’amateurisme en validant la distribution d’un tel plan d’actions qui génère aujourd’hui, en plus des problématiques éthiques (montants distribués, fiscalité), à la fois une instabilité dangereuse au sein de la direction et un mécontentement profond de l’ensemble des salariés dans une entreprise aujourd’hui en croissance ?

La CGT Soitec, le 30/9/2019 

Le Tract ICI

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Une réaction

  1. Le MIP nouvelle génération arrive en 2021 !

    Eux un bon gros Pat 4 et nous un bon gros à 4 pattes…

    L’art et la manière de tenter de garder les anciens dans la boite avec 3 mois de salaire au bout de 3 ans, risible.

    L’indécence n’a donc aucune limite ?

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